La Roumanie un an après la révolution, le vidéo-choc

Televiziunea romanaLa révolution en direct et en couleur. Impossible d’oublier les images extraordinaires, que la télévision roumaine nous a offertes, d’une révolution en pleine action, ni l’incroyable cassette vidéo du « procès» des Ceaucescu. Pourtant, avant décembre dernier, en Roumanie, on ne regardait pas la télévision. On osait à peine rêver de vidéo. Avant la révolution, personne ne regardait la télévision. Sauf les admirateurs de Ceaucescu. Car il suffisait d’allumer son poste pour qu’apparaisse le Conducator. Les trois heures de programme quotidien que proposait la Televiziunea romana étaient monopolisées à 99% par le «Père du peuple», le «Danube de la pensée». Sauf il y a dix ans, lorsque de retour d’un voyage à l’étranger, Ceaucescu décide que la Roumanie, aussi, peut proposer plusieurs programmes. Mais la nouvelle chaîne musicale et culturelle devait très vite irriter son créateur. Comment un dictateur pouvait-il supporter que son peuple écoute de la musique sur la 2 tandis qu’il discourait sur la 1? Le retour au programme unique fut sans appel : discours, visites et rencontres officielles remplirent de nouveau le petit écran. «Si bien, raconte Bucur, un Roumain de trente-cinq ans, que je n’allumais jamais la télévision. Sauf lorsqu’un match de foot était annoncé. La retransmission, plus ou moins pirate, produisait une image très mauvaise.» «Parfois, ajoute Mihaela, sa femme, on annonçait un film « artistique ». Lequel? Mystère.

Ça commençait sans générique ni titre. Puis au bas de l’écran, en noir, on pouvait lire un titre fantaisiste en roumain. A force de coupures et de censure, il ne durait qu’une heure. C’était du piratage. Des mauvaises copies vidéo. Enfin, après une heure, l’image se figeait et un écran noir signalait au téléspectateur roumain qu’il était temps d’aller se coucher…» Pourtant, il y a deux ans, Bucur est allé s’inscrire sur une des listes des postulants à l’achat d’un poste de télévision couleur. Non pas qu’il espérait, à l’époque, une amélioration des programmes, mais parce que la vidéo faisait, discrètement et par le biais du marché noir, son apparition en Roumanie. Comme pour tout, c’était le système du troc qui prévalait : la cassette de « Love story» ou du « Dictateur», de Chaplin, contre des pommes de terre, du café, de l’essence ou d’autres denrées introuvables dans les «magazinul». «Il est désormais possible, avec de la chance ou des relations, de se procurer un magnétoscope Akaï ou JVC, affirme Bucur. A Bucarest, on parle de mise en vente de caméras vidéo. Mais je n’en ai jamais vu !» C’est presque un rêve.
D’autant que les prix laissent songeur (il reste difficile d’établir une parité significative entre le leu et le franc. Le change varie de 10 à 100 leu pour un dollar, de la banque au marché noir). Sachant que le salaire mensuel moyen est de 3 000 leu et qu’un magnétoscope coûte de 35 000 à 45 000 leu, il faut de dix à vingt mois de salaire pour en acheter un. Il en faudrait une cinquantaine (plus de quatre ans) pour une caméra vidéo. Celui qui parvient à s’en procurer une, est un homme plein d’avenir : le vidéaste d’un mariage de campagne gagne 7 000 leu en une journée. Depuis la disparition des Ceaucescu, la Roumanie cherche sa voie entre liberté et anarchie, entre commerce et marché noir. Le petit écran s’est diversifié et le matériel vidéo est devenu moins mythologique.

magazinul UniversalMais Bucur ne possède toujours pas sa nouvelle TV couleur. De temps à autre, il se rend au « magazinul Universal », Piata Uniri : un bâtiment plein de vide et de produits tous identiques alignés sur plusieurs mètres de vitrines. Au troisième étage, au fond, se cache le stand TV. Personne derrière le comptoir, les étagères sont vides. Seuls des montages en carton peint représentent le poste de TV idéal. C’est là que trône la terrible pancarte, qu’un flot de Roumains vient observer. L’affiche annonce la situation déplorable de l’offre par rapport à la demande. « Depuis la révolution, les demandes de postes de TV de tous les magasins de Bucarest ont été regroupées sur une seule liste. Je sais donc que 43 700 personnes, plus 9 000 depuis le début de l’année, attendent que leur numéro soit déclaré « livrable ».» Pour le scope, Bucur a préféré miser sur le voyage d’un de ses amis, loin, à l’ouest de Bucarest.